Violences conjugales : où sont les femmes de plus de 60 ans ?

Paris (AFP) - "On ne voit pas la victime quand elle a des cheveux blancs" : en dépit de l'affaire hors norme de Gisèle Pelicot, les violences conjugales subies par les femmes de plus de 60 ans restent globalement hors des radars au grand dam d'associations qui entendent sortir cette problématique de l'ombre.
"Le voile commence à se lever un peu mais ces violences restent encore très invisibilisées", estime auprès de l'AFP Lucie Richard, chargée de projet sur cette question spécifique au centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de Paris.
"Or il y a des victimes, on le sait.La question c'est de savoir pourquoi elles ne sont pas ou peu repérées", ajoute-t-elle à l'occasion du lancement d'un vaste projet sur trois ans, mené par le CIDFF en partenariat avec la ville de Paris, visant à documenter le phénomène, outiller les professionnels de terrain et à sensibiliser le grand public.
Depuis le début des années 2000, la France dispose d'outils statistiques pour recenser les violences faites aux femmes mais les enquêtes vont rarement au-delà de 74 ans, voire s'arrêtent à 64 ans, passant sous silence toute une tranche d'âge.Dans les statistiques du ministère de l'Intérieur, seules 4% des victimes de violences conjugales ont plus de 60 ans...mais l'enquête ne porte que sur les personnes âgées de moins de 64 ans.
Publiée en mars, une enquête réalisée par la plateforme spécialisée Opale Care auprès de 4.000 femmes en couple hétérosexuel, a permis d'apporter un nouvel éclairage - et d'aboutir à un constat : les femmes de plus de 60 ans sont en tête de presque tous les types de violences subies au sein du couple par rapport à la moyenne nationale.
Elles sont 94% à faire état de violences psychologiques (contre 90% pour l'ensemble des femmes), 58% de violences verbales (vs 46%), 74% de violences physiques (vs 69%) et 39% font état également de violences économiques (vs 31%).Enfin, 61% des femmes de plus de 60 ayant répondu à l’enquête témoignent avoir subi des violences sexuelles.
Pour Vigdis Morisse–Herrera, fondatrice d'Opale Care, leur invisibilisation est "un comble quand on sait que ces femmes, plus isolées socialement, plus dépendantes économiquement, parfois avec une santé fragile, sont les plus vulnérables de toutes".
- "Gestes +altruistes+" -
Des victimes invisibilisées, et peu visibles.Fin 2024, le procès de Mazan a mis en lumière les viols subis par Gisèle Pelicot, alors âgée d'une soixantaine d'années, entre 2011 et 2020.Mais dans les faits, celles qui poussent la porte d'une association restent rares.
"Au CIDFF de Paris, on accompagne des femmes victimes de violences conjugales, intrafamiliales, sexistes et sexuelles au quotidien, or on a extrêmement peu de femmes âgées de plus de 60 ans qui viennent nous voir, la question c'est de savoir pourquoi", souligne Lucie Richard."Quels sont leurs freins ? Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qu'elles vivent ?"
Pour Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris chargée de l'égalité femmes-hommes, "les femmes dont on parle ont été élevées et ont vécu la plus grande partie de leur vie avec le fait que le viol conjugal n'était pas condamné.Il y a donc un gros enjeu à faire monter le niveau d'intolérance face aux violences chez ces personnes".
Le temps presse, insistent les associations féministes.Selon la dernière étude du ministère de l'Intérieur sur les morts violentes au sein du couple, 17% des femmes victimes de féminicides avaient 70 ans et plus en 2023. "62% des victimes féminines, âgées de 70 ans et plus", précise le ministère, "ont été tuées en raison de leur maladie ou de celle de l’auteur."
"C'est un problème, ces féminicides sont souvent regardés par la société comme des gestes presque altruistes, comme si l'auteur de féminicide allait soulager les souffrances de sa compagne malade en l'assassinant, du coup ça passe complètement sous les radars", note Maëlle Noir du collectif féministe #Noustoutes.
"Or ce sont des féminicides", insiste Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes."On n'a pas 20% d'homicides commis par des femmes sur leur conjoint, donc on voit bien que le problème ce n'est pas que la femme est malade, mais que le mari ne veut pas s'occuper d'une personne malade et qu'il finit par la tuer."