Turquie: le procès fleuve de Pinar Selek de nouveau renvoyé

Istanbul (AFP) - La justice turque a de nouveau renvoyé vendredi le procès fleuve pour "terrorisme" de la sociologue turque réfugiée en France Pinar Selek, après 27 ans de poursuites et quatre acquittements.
A peine ouverte, l'audience a été renvoyée au 21 octobre, le tribunal a affirmé attendre la réponse d'Interpol, l'organisation internationale de police criminelle, à sa demande d'extradition, selon l'avocat de Mme Selek.
Or, a souligné Me Akin Atalay auprès de l'AFP, "Interpol a bien refusé le mandat d'arrêt mais la cour ne l'a pas pris en compte et dit attendre une décision".
Mardi soir, lors d'une conférence de presse à Paris, Pinar Selek avait exprimé un "demi-espoir" en affirmant que "Interpol a(vait) refusé la demande de la Turquie".
"Il pourrait donc y avoir une surprise, puisqu'ils n'ont plus de prétexte pour reporter" encore le procès, avait espéré l'écrivaine et chercheuse.
Pinar Selek a été arrêtée en Turquie en 1998 pour ses travaux sur la communauté kurde, puis accusée d'être liée à une explosion qui avait fait sept morts au bazar aux épices d'Istanbul.
Libérée fin 2000, elle est un temps restée à se battre en Turquie avant d'être poussée à l'exil en raison de ses travaux sur la communauté kurde.
Lors des quatre précédentes audiences - mars et septembre 2023, juin 2024 et la dernière, le 7 février - le Tribunal d'Istanbul avait exigé d'entendre l'accusée in situ.
- "harcèlement judiciaire" -
Pinar Selek, 53 ans, qui a quitté la Turquie en avril 2009, est convaincue d'être arrêtée dès son retour au pays.
En juin 2024, l'accusation avait ajouté une nouvelle pièce au dossier en accusant la chercheuse d'avoir participé à un événement organisé en France par le PKK.
Ce dont Mme Selek se défend, affirmant avoir animé une table ronde autour de femmes kurdes, organisée par son université, à Nice (sud-est de la France).
Cette nouvelle et brève audience s'est tenue alors que la vague de contestation qui a suivi l'arrestation du maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, le 19 mars, est à peine retombée.
Près de 2.000 personnes dont de très nombreux étudiants et des journalistes, ont été arrêtés à Istanbul, Ankara la capitale et Izmir (ouest) principalement, dont plus de 800 ont vu leur procès renvoyé à l'automne.
La députée européenne Mélissa Camara, qui se déplace chaque fois à Istanbul pour suivre les audiences, a dénoncé "un harcèlement judiciaire depuis bientôt trois décennies.Les autorités turques mettent tout en œuvre depuis 1998 pour que Pinar abdique, capitule", a-t-elle déclaré à l'AFP.
"La démocratie en Turquie fait bien plus que vaciller depuis des années" a-t-elle relevé.
En février, plus de 300 personnes avaient été également arrêtées dans tous les milieux, accusées de "liens avec une organisation terroriste", le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), pour ne pas le nommer.
Or c'est justement avec le PKK, mouvement armé interdit, qui a annoncé sa dissolution prochaine, qu'Ankara est en train d'envisager la paix.
Dans ce contexte, citant le poète alévi Metin Altiok, assassiné en 1993 par des islamistes radicaux, Pinar Selek se disait confiante mardi.D'autant qu'Ankara, selon elle, a épuisé toutes les voies de recours.
L'an dernier, Pinar Selek avait évoqué "un procès kafkaïen" dont le but était de la "fatiguer", elle et ses soutiens, notamment son père, âgé, et sa soeur, tous deux avocats, qui la représentent au tribunal.