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Le Kenya, refuge précaire pour les Ougandais LGBT+

Le Kenya, refuge précaire pour les Ougandais LGBT+
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Nairobi (AFP) - Zuri, femme transgenre, n'a eu d'autre choix que de fuir l'Ouganda après avoir échappé au pire.Si arriver au Kenya lui a redonné de l'espoir, celui-ci vacille alors que sa demande d'asile s'éternise et qu'un projet de loi anti-LGBT+ est à l'étude.

"J’ai été agressée chez moi et j’ai failli être tuée.Le lendemain matin, j’ai dû partir", confie-t-elle, casquette vissée sur le chef, depuis un refuge caché derrière une haute barrière verte à Nairobi, où elle vit avec une dizaine d'autres personnes queer, surtout ougandaises.

Âgée de 29 ans, Zuri - dont le prénom, comme celui des autres personnes interrogées par l'AFP, a été changé pour des raisons de sécurité - est l'une des victimes de la "loi anti-homosexualité" votée en 2023 en Ouganda, l'une des plus répressives au monde contre les minorités sexuelles. 

Selon ce texte, un délit d'"homosexualité aggravée" est passible de la peine de mort, qui n'est toutefois plus appliquée depuis des années en Ouganda.Il prévoit également de lourdes peines pour les personnes ayant des relations homosexuelles et faisant la "promotion" de l'homosexualité. 

L'organisation de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) estime que la loi a contribué à créer un "climat de peur" en "institutionnalisant l'homophobie" en Ouganda et légitimé violences et menaces à l'encontre des personnes LGBT+. 

Un cadre de vie intenable pour Zuri, comme pour les milliers d'Ougandais ayant, comme elle, fui au Kenya. Mais leur exil s'avère difficile, dans une pays certes parmi les plus accueillants d'Afrique de l'Est pour la communauté LGBT+, mais où les discriminations restent lourdes.

"Nous ne sommes pas à l'abri du monde extérieur, nous limitons donc nos déplacements" afin d'éviter de se faire "attaquer et battre", explique Grace, un demandeur d'asile gay de 30 ans, depuis une salle à manger aux murs tapissés d’images de figures queer. 

- Asile de genre -

Au Kenya, les relations homosexuelles sont illégales et passibles de peines pouvant aller jusqu'à 14 ans de prison, selon des lois datant de l'époque coloniale.Si les condamnations sont rares, la société majoritairement chrétienne et conservatrice reste hostile.

En 2021, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies dénombrait environ 1.000 réfugiés et demandeurs d'asile LGBT+, en majorité des Ougandais, au Kenya, pays alors salué comme le seul de la région à accorder l’asile sur la base de la persécution liée à l'orientation sexuelle ou l’identité de genre.

Mais une révision cette année-là de la loi kényane a transféré la gestion des demandes d’asile du HCR au gouvernement.

Depuis lors, "la persécution liée à l’orientation sexuelle ou l’identité de genre n’est plus considérée comme motif suffisant pour obtenir le statut de réfugié", explique Craig Paris, de la Coalition pour les réfugiés d’Afrique de l’Est, qui estime à 4.000 le nombre d'Ougandais queer vivant désormais au Kenya.

Les procédures sont "lentes" et "frustrantes", témoigne Julie, dont la maison avait été incendiée en 2018 en Ouganda, après que ses frères ont "incité les villageois à (l)'attaquer".Cette transgenre de 32 ans affirme attendre depuis sept ans son statut de réfugiée.

Les fonctionnaires kényans disent "Nous ne voulons pas de vous ici, allez vous repentir, ne revenez pas", narre Champagne, une demandeuse d'asile transgenre de 26 ans, qui a quitté l'Ouganda après que sa famille s'est retrouvée menacée du fait de son genre.

- "Quitter le Kenya" -

Un entre-deux aux lourdes conséquences, qui dure pour certains Ougandais LGBT+ depuis plus de 10 ans et les empêche de mener une vie normale faute de pouvoir louer un appartement, travailler, ouvrir un compte bancaire...

"Beaucoup commencent à être très, très las du processus.Ils ont envie de mourir", regrette Champagne.

Du fait des coupes mondiales dans l'aide humanitaire, qui entrave l'accès aux soins de santé, notamment les traitements contre le VIH, le refuge tenu par le réseau Nature, une organisation d'aide aux réfugiés et demandeurs d'asile queer, se retrouve en outre acculé financièrement.Avec deux mois de retard de loyer, la structure est menacée d'expulsion et ses résidents ne savent pas où aller.

Leur situation est d'autant plus épineuse qu'un projet de loi dit de "protection de la famille" pourrait être examiné cette année au parlement kényan.Selon sa dernière version consultée par l'AFP, il envisage des peines allant jusqu'à 30 ans de prison pour des relations homosexuelles et appelle à la délation.

"Si on ne fait rien, ce qui s’est passé en Ouganda peut arriver ici", s'alarme Zuri."Et ce seront surtout les réfugiés queer qui en paieront le prix."

Grace craint que "d'ici un an ou deux, les queer ne pourront plus rentrer" dans le pays. "Aujourd’hui", souffle-t-il, "on voit de l’espoir uniquement dans la possibilité de quitter le Kenya." 

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