L'arrestation d'un chanteur ravive le débat sur la criminalisation du funk brésilien

Rio de Janeiro (Brésil) (AFP) - L'arrestation à Rio de Janeiro d'un chanteur renommé de funk brésilien, accusé de glorifier dans ses chansons un puissant groupe criminel, a ravivé une polémique ancienne dans le pays sur la criminalisation de ce genre né dans les favelas.
MC Poze do Rodo, 26 ans, a été arrêté jeudi, soupçonné d'apologie de crime et de liens avec le Comando Vermelho (CV), l'un des groupes criminels les plus redoutés du Brésil.
Ce chanteur est l'une des stars du funk brésilien, genre né dans les favelas de Rio il y a plus de 20 ans.
Fort de 16 millions d'abonnés sur Instagram, Poze do Rodo publie des photos et vidéos de lui en concert, en famille ou aux côtés de célébrités comme Neymar, les cheveux blonds décolorés et arborant souvent de lourds colliers et autres bijoux en or.
Selon l'enquête en cours, les paroles de ses chansons "font clairement l'apologie" du trafic de drogue et de l'usage illégal d'armes à feu, et incitent à des affrontements armés entre factions rivales.
Le chanteur "donne des concerts exclusivement dans des zones contrôlées par le CV, avec la présence notable de trafiquants portant des fusils d'assaut", a indiqué la police dans un communiqué.
Son arrestation est un "message au groupe criminel et à tous ceux qui idéalisent et contribuent à diffuser la narcoculture", ont-ils averti.
Après cinq jours en détention provisoire, un juge a ordonné que le chanteur soit remis en liberté conditionnelle.
À sa sortie de prison, il a été acclamé par des dizaines de fans.Certains d'entre eux avaient été dispersés par la police à coup de gaz au poivre.
"La police de Rio de Janeiro ne m'aime pas (...) Est-ce parce que je suis noir ? Parce que je viens de la favela ?", a-t-il protesté devant les médias.
- "Pas un délinquant" -
Marlon Brendon Coelho Couto, de son vrai nom, a grandi à Rodo, une favela de l'ouest de Rio.Il a reconnu avoir été impliqué dans le trafic de drogue par le passé, mais affirme avoir abandonné cette vie pour mener une carrière musicale fulgurante.
Des images de l'artiste, torse nu, menotté et escorté par des policiers lourdement armés, ont divisé le pays après son arrestation.
Musiciens, organisations sociales et fans se sont joints à une campagne menée par son épouse, l'influenceuse Vivi Noronha, sous le slogan "Un chanteur de funk n'est pas un délinquant".
La députée transgenre Érika Hilton a dénoncé une incarcération qui vise à "projeter sur les Noirs, dans les favelas et les périphéries, tous les péchés du monde".
Mais une grande partie de la société s'est réjouie de le voir derrière les barreaux et a protesté contre sa libération, à l'instar de l'ex-président d'extrême droite Jair Bolsonaro, qui a posté un émoji de clown à côté d'une photo du chanteur.
- Liberté artistique ou apologie ? -
Avec des influences venues du hip-hop, du funk américain et d'autres genres urbains, le funk de Rio aborde la réalité des favelas, la violence et le crime.
Ses paroles sont souvent controversées, comme ces vers de Poze do Rodo: "Si les policiers arrivent / les balles vont pleuvoir".
Dans d'autres, il rend hommage à des hommes abattus "tirant pour le Comando Vermelho".
Pour Danilo Cymrot, docteur en criminologie et auteur d'un livre sur le funk brésilien, il existe une "zone grise" autour de la définition de l'apologie lorsqu'il s'agit d'œuvres artistiques."L'auteur n'est pas nécessairement d'accord avec ce qu'il chante", souligne-t-il auprès de l'AFP.
Et "souvent la police et le pouvoir judiciaire ont du mal à comprendre le funk comme une œuvre artistique", relève le chercheur.
C'est pourquoi, affirme-t-il, ce qui définit souvent l'apologie, c'est l'origine sociale. "C'est moins le message en soi que la personne qui le chante".
Le juge qui a libéré "Poze" a considéré dans sa décision qu'il fallait arrêter non pas "le plus faible", mais "les commandants de la faction".
Ce débat autour de la criminalisation du funk est ancien.Il y a plus de dix ans, le gouvernement de Fortaleza (nord-est) a adopté une loi interdisant l'embauche d'artistes incitant à la violence.
Des projets similaires, connus sous le nom de "loi anti-Oruam" — en référence au rappeur Oruam, fils d'un célèbre chef criminel brésilien — sont actuellement débattus par plusieurs parlements régionaux ou conseils municipaux.