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"L'appréhension d'un massacre SS": Jacques Moalic raconte les derniers mois à Buchenwald

"L'appréhension d'un massacre SS": Jacques Moalic raconte les derniers mois à Buchenwald
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Paris (AFP) - "On avait l'appréhension d'un massacre plus ou moins organisé des SS": déporté le 18 décembre 1943 à Buchenwald, Jacques Moalic, 102 ans, garde un souvenir précis de la libération du camp de concentration. 

Cet ancien chef du service des informations générales à l'Agence France Presse (AFP) raconte ses derniers mois de captivité et l'arrivée des soldats américains le 11 avril 1945.

- Départ à Ohrdruf - 

"On avait eu cette joie formidable de la libération de Paris (en août 1944, NDLR).Dans les camps, les gens avaient repris courage.Ils se sont dit, on sera libre à Noël.Je n'y croyais pas beaucoup.J'avais raison.

Sur la fin, les SS avaient ouvert des camps plus lointains et beaucoup plus durs.En janvier, le 8 je crois, rassemblement imprévu!Le SS passe entre les rangs en notant les numéros.On sera 800 à 900 à partir vers un camp que personne ne connaissait. 

Des types nous ont dit, essayez de vous faire rayer de la liste, parce que c'est un camp meurtrier.Mais j'étais désigné, et on ne pouvait pas s'en échapper.On s'est retrouvés à Ohrdruf, une petite ville avec un camp militaire, où s'entraînaient les blindés allemands. 

Les types travaillaient nuit et jour à creuser la montagne.Je me suis dit: être réveillé à quatre-cinq heures du matin, rentrer à dix heures du soir, je vais tenir quinze jours...Pour la première fois, j'ai pensé que peut-être je ne reviendrais pas".

"Mais j'ai été recruté pour installer l'électricité dans des écuries, et (cette mission) m'a sauvé la vie.Je dormais dans un ancien logement de la Wehrmacht, mais il y avait des types qui étaient sous des toiles de tente par moins 15. Je crois qu'on a été jusqu'à 25-30.000.Et on est revenus à 1.600".

- Retour vers Buchenwald - 

"On savait évidemment depuis pas mal de temps que les Russes et les Alliés avançaient.Mais entre 'ils avancent' et 'ils sont à nos portes', il y a une grande différence!Un jour à l'appel, on entend un bruit qu'on n'entendait jamais, l'artillerie, le canon.On s'est dit, les Alliés sont à portée de bataille.On s'est regardés et il y a eu un silence extraordinaire. 

Pâques tombait cette année le 1er avril 1945.On n'est pas partis au travail.On est restés debout pendant pas mal de temps.Et là on nous a dit, on part, on évacue". 

"On est partis par groupes de mille, sans savoir la destination.On a marché.Il bruinait.On ne s'arrêtait jamais, dans une campagne très montagneuse.Et on a marché comme ça trois, quatre jours.

Lorsqu'un type tombait, que personne ne le relevait, il était abattu d'une balle.Ils en ont tué pas mal, parce qu'il y avait des types qui, au départ, étaient déjà à moitié morts. 

On est arrivés devant la gare de Weimar puis on a pris la montée vers Buchenwald.Elle faisait 6 à 7 kilomètres, il y a eu 72 cadavres".

- Libération - 

"Quand on est arrivés devant l'entrée de Buchenwald, la nuit tombait.On a été comptés par cinq, selon la procédure.On s'est retrouvés à 3.000-4.000 sur la place d'appel, sans abri, sans rien.

Un type debout à côté de moi m'a reconnu et m'a ramené au bloc 34 (où Jacques Moalic vivait depuis 1943, NDLR).J'étais couvert de poux. 

Le 11 avril, il y avait beaucoup de fébrilité dans le camp.On avait l'appréhension d'un massacre plus ou moins organisé des SS, et l'espoir de la libération.Les SS ont commencé à vider le camp, bloc par bloc, et chaque groupe était envoyé à la gare de Weimar, où attendaient des wagons dégueulasses. 

Depuis pas mal de temps, le camp de Buchenwald était survolé par des chasseurs américains.On a commencé à préparer des armes...et puis tout d'un coup, une unité américaine est arrivée. Les SS n'ont pas engagé le combat, ils ont préféré foutre le camp.Quelques minutes plus tard, on était dehors".

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