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En Ardèche, la communauté autogérée Longo Maï a pris racine

En Ardèche, la communauté autogérée Longo Maï a pris racine
Publié le , mis à jour le

Chanéac (France) (AFP) - Dans une forêt de pins ardéchoise, le cheval Tonnerre, un puissant Trait du Nord, tracte des troncs fraîchement abattus qui assurent les revenus de la communauté Longo Maï de Treynas, l'une des rares du mouvement néo-rural des années 1970 à avoir survécu.

Ici pas de hiérarchie, pas de salariat, pas de propriété individuelle : la communauté, au coeur d'un conflit avec des chasseurs qui sera jugé jeudi, a développé une véritable entreprise forestière sans renoncer à ses valeurs anticapitalistes.

Outre la formation de stagiaires, sa trentaine de membres exploitent une grande parcelle de pins Douglas, ont leur propre scierie où ils découpent poutres et planches avant de les vendre.La communauté en vit correctement.

"On est obligé de parler de chiffres parce que c'est le langage que les gens comprennent, mais ce n'est pas ce qui nous intéresse", dit Manuel Merlhiot, membre historique de Treynas. 

Leur activité sylvestre est à l'image leur engagement politique, avance-t-il: "faire d'autres propositions, viables, à l'encontre du système industriel".

Ses membres sont aussi épris de "liberté", explique Charlie Baumann, 25 ans.Elevé dans une autre communauté, il est arrivé ici après une première expérience de salariat."Ca ne me convient pas du tout.Obéir à quelqu'un..."

- Cavale -

La communauté de Treynas a été fondée dans le sillage du mouvement contestataire de Mai-1968 sur la commune isolée de Chanéac par Pierre Conty, le père de Manuel Merlhiot.En 1977, ce paysan anarchiste braque une banque et tue trois personnes dans sa cavale.

La communauté condamne les actes de son fondateur - dont ni elle ni Manuel n'a plus jamais eu de nouvelles - et rejoint à la fin des années 1980 le réseau des coopératives Longo Maï, ("Que ça dure longtemps" en provençal), connues pour leur pacifisme.

La communauté originelle, fondée dans les Alpes-de-Haute-Provence, connaît à ses débuts des rapports houleux avec l'Etat, notamment car elle accueille des réfugiés et déserteurs du monde entier.

Les choses se normalisent avec le temps.Et quand d'autres communauté autogérées échouent, le réseau s'inscrit dans la durée grâce à "des succès que les communautés remportent chacune dans leur spécialité", souligne Marc Ollivier, chercheur du CNRS à la retraite et observateur amical de Longo Maï.

Il compte désormais une dizaine de communautés en France, Autriche, Suisse, Allemagne, Ukraine, soit environ 200 personnes, dont Treynas.

Sur cette colline d'Ardèche, elles vivent dans des maisons de pierre et de bois, qui appartiennent à une fondation. Dans la cuisine, les repas sont préparés et pris en commun.En ce jour de pâtes bolognaise, la viande vient de la ferme, la salade du potager. 

- Compte commun -

"On n'est pas très différents des familles normales, mais plus nombreux", sourit Sandra Belhache."Il y a 36 manières de vivre la vie en collectif", explique la quadragénaire.Ici, il est possible d'avoir des effets personnels mais "l'argent qu'on récolte par nos activités est sur un compte utilisé par tout le monde". 

Tous se retrouvent pour des réunions, prendre les décisions par consensus, débattre de l'actualité.

Pour Marc Ollivier, c'est l'autre facteur de la longévité de Longo Maï: ses "conditions de fonctionnement", une démocratie directe et participative, "fascinent les jeunes". 

Certains concèdent en souriant qu'il n'est pas toujours facile de s'y plier, mais tous acceptent l'issue des débats.

"Il faut se côtoyer si on veut s'en sortir", assure Emmanuelle, 61 ans dont 45 à Longo Maï, fière d'avoir créé "des lieux ouverts avec beaucoup de rencontres, d'échanges".

Malgré ces succès, les crimes du fondateur des lieux et le mode de vie alternatif de ses occupants suscitent encore des incompréhensions, qui ont éclaté publiquement en décembre 2023 quand Manuel Merlhiot a tué sept chiens de chasse entrés sur la propriété.

Poursuivi en justice, il a expliqué avoir tiré pour les empêcher de dévorer les cochons de la ferme. 

Mais la diffusion de photos des bêtes abattues a suscité un "torrent de menaces et d'actes d'intimidation" contre la communauté qui a, à son tour, porté plainte. 

Chasseurs contre membres de la communauté: le parquet a décidé de juger les deux camps le même jour, et le procès se tiendra jeudi à Privas.

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