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En Afghanistan, l'"étouffante" burqa moins visible qu'il y a 20 ans

En Afghanistan, l'"étouffante" burqa moins visible qu'il y a 20 ans
Publié le , mis à jour le

Mazar-e-Sharif (Afghanistan) (AFP) - Devenue le symbole de l'oppression des Afghanes, la burqa est aujourd'hui délaissée par les nouvelles générations qui lui préfèrent d'autres tenues jugées plus confortables mais presque aussi couvrantes, car pas question de s'attirer les foudres des autorités talibanes.

Depuis leur retour au pouvoir en 2021, les talibans ont imposé une vision ultra-stricte de la loi islamique, sur le modèle de leur précédent règne de 1996 à 2001.

Les femmes, les premières visées, doivent avoir le corps et le visage couverts.

"Il n'y a que les femmes âgées qui portent la burqa (...) tout le monde préfère le voile et l'abaya", estime Razia Khaliq, 38 ans, en référence à la longue robe portée dans le Golfe.

Cette brodeuse de Mazar-e-Sharif, dans le nord de l'Afghanistan, porte depuis l'âge de 13 ans la burqa bleue.Quand elle sort, son corps est entièrement caché jusqu'à ses yeux couverts d'un grillage brodé dans cet épais voile intégral.

Sa mère et sa grand-mère la portaient aussi mais sa fille, vingtenaire, a opté pour une abaya et un voile.

"C'est plus confortable", explique Mme Khaliq.

- Masque médical et "apartheid de genre" -

Nassima, la quarantaine, martèle que "montrer son visage est un péché" mais admet opter de temps à autre pour l'abaya, pour libérer son nez et sa bouche de l'"étouffante" burqa.

Burqa ou abaya et voile, les deux conviennent, affirme à l'AFP Saiful Islam Khyber, porte-parole du ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice (PVPV).

"Personnellement, je ne me vois pas porter la burqa (...) l'abaya est plus confortable", témoigne Tahmina Adel, 23 ans, forcée d'abandonner ses études en économie depuis que les femmes sont bannies des universités.

Avec les réseaux sociaux, "tout le monde suit les tendances.Aujourd'hui, les abayas de différents modèles sont à la mode dans les pays musulmans", note la Kaboulie.

"Sous le précédent régime taliban, la burqa était strictement imposée, certaines femmes étaient même fouettées si elles ne la portaient pas", rappelle Hayatullah Rafiqi, spécialiste de la culture pachtoune.

"Aujourd'hui elle est moins portée", poursuit ce professeur à la retraite.Mais toujours visible dans les rues où cette pièce ultra-couvrante permet de se fondre dans la foule.

A tel point que les talibans eux-mêmes ont décidé de s'en servir lors de leur insurrection dans les années 2000: régulièrement, les troupes qui les combattaient annonçaient avoir arrêté des talibans dissimulés sous des burqas ou découvert que le kamikaze cachait sa ceinture d'explosifs sous l'ample voile intégral.

En 2021, en reprenant Kaboul, les talibans avaient promis de se montrer plus souples que lors de leur premier régime, lorsque les femmes étaient privées de presque tous leurs droits.

Mais ils ont progressivement effacé les Afghanes de l'espace public, imposant selon l'ONU un "apartheid de genre".

En août, une nouvelle loi est venue confirmer les restrictions imposées au quotidien aux hommes et aux femmes par les redoutées brigades de la PVPV.

Elle prévoit que si les femmes peuvent sortir "en cas de nécessité", leur corps et leur visage doivent être couverts, sans toutefois mentionner précisément la burqa.

Niha, 22 ans, rapporte pourtant avoir été réprimandée pour ne pas l'avoir portée dans des bâtiments publics où elle se rendait pour des démarches administratives.

Il est fréquent, à l'entrée de ces bâtiments gardés par les forces de sécurité talibanes, d'être priée de réajuster son voile ou intimée d'y adjoindre un masque médical pour couvrir le bas du visage.

"Dès qu'on entre dans des bureaux, on se fait malmener", dit Niha, qui préfère taire son patronyme.

- Burqas chinoises -

La plupart des burqas ("tchadri" en dari, la déclinaison afghane du persan), dont l'histoire est difficile à tracer, proviennent désormais de Chine.

Les clientes - et les clients venus chercher un voile pour entièrement couvrir leurs épouses - les préfèrent, explique à l'AFP Gul Mohammed, vendeur de tissus en gros à Kaboul.

Moins chères, elles sont fabriquées en nylon donc plus résistantes au lavage que les burqas traditionnelles en coton.

"Mais la burqa chinoise ne protège pas du froid en hiver et elle est trop chaude en été donc les femmes transpirent beaucoup dedans", ajoute-t-il.

Les clientes n'ont pas seulement le choix de la matière, il y a aussi une variété de couleurs: Gul Mohammed propose du marron, du beige, du violet, du rose pâle ou des tons pistache et café.

"Chaque province a sa propre couleur", décrypte Ahmad Walid Danich dans sa boutique de Mazar-e-Sharif, grande ville commerciale du nord où les femmes portent seulement du bleu, clair et foncé.

Il faut aussi choisir l'épaisseur du grillage: pour "les femmes dont la vue est mauvaise", les trous sont plus espacés, raconte un autre vendeur mazari."Les plus jeunes, voyant mieux", peuvent acheter des modèles au maillage plus dense, poursuit-il.

Pour Sabrina, 23 ans, qu'importe l'épaisseur, la vie sous burqa est semée d'embûches.

Cette habitante de Kandahar, berceau spirituel des talibans dans le Sud, se dit régulièrement sermonnée si elle ne la porte pas.

Elle se rappelle l'avoir enfilée pour la première fois il y a près de quatre ans à leur retour au pouvoir.

"Je ne pouvais pas voir mon chemin, je ne savais pas si j'allais à droite ou à gauche", dit-elle dans sa maison chichement meublée. 

"C'était très étrange".

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