Dans un désert en Colombie, migrants et indigènes subissent les coupes budgétaires de Trump

Maicao (Colombie) (AFP) - Une brise étouffante répand l'odeur âcre des déchets accumulés dans le plus grand camp de migrants et de peuples autochtones de Colombie, dans le désert de la Guajira (nord-est).Enceinte de huit mois, Astrid y survit dans des conditions devenues encore plus difficiles depuis la suspension de l'aide humanitaire américaine.
"Que me manque-t-il ? Tout, car rien ici n'est à moi", déclare à l'AFP cette Vénézuélienne de 20 ans qui se morfond à La Pista, ce campement sans eau ni toilettes à Maicao, près de la frontière vénézuélienne, construit sur une ancienne piste d'atterrissage.
Astrid dit rêver d'un "travail" pour offrir à ses enfants "un foyer".Mais pour l'instant elle vit avec son fils de cinq ans, paralysé à cause d'une encéphalopathie, dans une cabane faite de tôle ondulée.
Difficile dans ces entrelacs de chemins poussiéreux d'évaluer le nombre de résidents à La Pista.Entre 10.000 et 14.000, selon diverses sources.
Dans la Guajira, deuxième région la plus pauvre de Colombie où la malnutrition frappe les enfants, la vie dépend en grande partie des organisations humanitaires.
Des 28 ONG présentes à Maicao en 2024, seules trois sont encore en activité aujourd'hui, déplore le maire Miguel Aragon, en pointant du doigt les coupes drastiques dans l'aide extérieure américaine.
- "Riz et fromage" -
Dans un centre médical administré par l'ONG Save the children encore présente, plusieurs femmes avec enfants attendent d'être reçues.
Habitante de La Pista, Luz Marina, une Colombienne indigène wayuu de 40 ans, y fait suivre son frêle fils de cinq ans.
Le traitement fait de compléments alimentaires a permis au garçon de "bien évoluer, de prendre du poids", dit-elle, car "manger du riz avec du poulet, ce n'est pas pareil que de manger du riz avec du fromage".
Mais elle se désole de n'avoir pu bénéficier d'un programme d'aide financière pour laquelle elle avait été sélectionnée en début d'année.
"Je n'ai rien reçu, affirme-t-elle dépitée, c'était quelque chose dont j'avais vraiment besoin", raconte, les yeux humides, cette femme qui survit grâce à ce que gagne son mari en triant les déchets.
Le programme d'aide en question a été suspendu quand le président Donald Trump a entamé le démantèlement de l'USAID, l'agence américaine de développement qui gérait un fonds équivalant à 42% de l'aide humanitaire mondiale.
- "On se sent seuls" -
A La Pista, à quelques encablures d'un paysage idyllique de dunes au pied de la mer des Caraïbes, le manque d'eau est criant.
Chaque jour des vendeurs d'eau saline portée à dos d'âne ravitaillent les familles en attendant l'eau potable fournie par camion une fois par semaine par l'Etat colombien.
Le maire de Maicao a ressenti comme "un choc" à l'arrêt de financement aux ONG qui opéraient à La Pista."Aujourd'hui on se sent seuls", dit l'homme de 37 ans, qui redoute une détérioration de la situation pour les 160.000 personnes que compte sa ville.
Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), la décision de Trump met en péril "des années de progrès" dans la protection des déplacés.
- Recrutement d'enfants -
Maria Mercedes Liévano, directrice de Save the children en Colombie, craint que l'abandon de divers projets humanitaires entraîne "un risque accru que des jeunes rejoignent des groupes criminels", dans un pays au conflit interne en cours depuis six décennies, et alors que les chiffres de recrutement d'enfants et adolescents est reparti à la hausse.
Save the children avait ouvert un atelier d'activités culturelles aujourd'hui abandonné après avoir vu son budget amputé de 40%.
Michelle, 13 ans, y avait découvert son amour pour le chant.Elle dit aujourd'hui se sentir comme "enchaînée, incapable de libérer" ce qu'elle a "à l'intérieur".
"Devoir tourner le dos aux personnes que nous avons soutenues est très difficile", souffle Mme Liévano.