Dans les restaurants de Washington, la police de l'immigration traque les employés sans papiers

Washington (AFP) - C'était une journée ordinaire pour Pupatella, pizzeria cossue du centre de Washington.Jusqu'à ce que le service soit interrompu par l'irruption d'agents du ministère de la Sécurité intérieure, à la recherche d'employés sans papiers.
"Des agents, en uniforme et armés, sont venus dans l'un de nos restaurants sans aucun papier administratif, réclamant les permis de travail de nos employés.Sans mandat ni notice d'inspection, ils ont été refoulés par notre manager", raconte Natasha Neely, vice-présidente des restaurants Pupatella, implantés dans la capitale américaine ainsi qu'en Virginie et dans le Maryland voisins.
Quelques heures plus tard en cette journée du 6 mai, une autre pizzeria du même groupe située à Capitol Hill, près du Congrès, était visée."Cette fois, ils avaient une notice d'inspection, mais le manager les a renvoyés vers notre siège social et nous avons alerté nos avocats", poursuit-elle.
Du 6 au 9 mai, les autorités américaines "ont appréhendé 189 étrangers en situation irrégulière et signifié des avis d'inspection à 187 entreprises locales au cours d'une opération renforcée de contrôle de l'immigration ciblée sur les délinquants étrangers opérant à Washington et dans ses environs", peut-on lire dans un communiqué de ICE, la police de l'immigration, diffusé la semaine dernière.
Les avis d'inspection ne sont pas "inhabituels", confie Natasha Neely, qui ignore pourquoi son restaurant, où "tout le monde a des papiers", a été visé.Mais "les demandes se font généralement par mail" et demeurent purement "administratives".
- "Colonne vertébrale" -
Le président républicain Donald Trump a érigé la lutte contre l'immigration clandestine en priorité absolue, évoquant une "invasion" des Etats-Unis par des "criminels venus de l'étranger" et communiquant abondamment sur les expulsions d'immigrés.
"Les immigrés, les sans-papiers, représentent une part importante de notre industrie.Ils en sont la colonne vertébrale (...) ils font partie de notre famille et nous continuerons à les accepter", affirme Shawn Townsend, président de l'Association des restaurateurs de la région de Washington (RAMW).
Outre la restauration, la main d'oeuvre étrangère joue un rôle crucial dans de nombreux secteurs économiques, agriculture, services, construction et les employeurs
Avant même l'investiture de Donald Trump en janvier, la RAMW "savait que (les travailleurs sans papiers) seraient une priorité pour la nouvelle administration", poursuit-il.L'association a donc organisé des ateliers sur les "I-9 forms", les documents permettant de certifier qu'une personne est habilitée à travailler aux Etats-Unis, que doivent remplir les employeurs.
"Je ne peux pas leur donner les documents qu'ils sont venus chercher", témoigne sous le couvert de l'anonymat le propriétaire d'un restaurant de la capitale américaine ayant reçu la visite d'agents du ministère de la Sécurité intérieure il y a deux semaines."Je vais voir quelles seront les répercussions.Peut-être vont-ils me mettre des amendes, ou bien m'envoyer en prison.Je n'en sais rien", ajoute-t-il.
"Est-ce que je me sens menacé en tant que petit restaurateur?Oui.On sait que ces gars-là (l'administration américaine) ne s'arrêteront pas", confie-t-il.
- Pénurie de main d'oeuvre -
Selon une étude du cabinet d'avocats Littler Mendelson PC, spécialisé en droit du travail, 58% des cadres interrogés craignent que les politiques anti-immigration de Donald Trump ne créent des carences de main d'oeuvre.Les secteurs de l'industrie, de l'hôtellerie et de la restauration sont les plus inquiets.
Depuis que son restaurant a été visé, "une grande partie des employés ne sont pas venus travailler" par peur de se faire arrêter, explique le restaurateur anonyme.
"Je pense que nous nous dirigeons probablement vers une pénurie de main d'oeuvre (...) les restaurants vont vraiment galérer".
Un constat partagé par Shawn Townsend: "Le climat politique dans lequel nous nous trouvons, ajouté aux défis économiques auxquels certaines de nos petites entreprises sont confrontées, contribue au niveau d'anxiété des travailleurs".
"Les gens ont peur d'être arrêtés, et je pense que cette crainte empêche certains de revenir travailler", dit le président de la RAMW.
Les employés des pizzerias Pupatella ont été "troublés", par l'inspection des autorités: "Soyons honnêtes, si quelqu'un se présente à un endroit en uniforme fédéral avec des armes et des gilets pare-balles, (...) c'est déconcertant", dit Natasha Neely, dont les employés ont depuis été préparés à une éventuelle nouvelle visite.
"Nous nous sommes assurés que tous les managers connaissent les droits du restaurant et ceux de chaque membre de l'équipe", conclut-elle.