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Auditions filmées: quatre femmes gendarmes à l'écoute des enfants victimes

Auditions filmées: quatre femmes gendarmes à l'écoute des enfants victimes
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Pontoise (France) (AFP) - Ecouter les enfants victimes ou témoins de violences est leur "vocation", disent-elles en choeur.A la Maison de protection des familles de Pontoise, quatre femmes gendarmes multiplient les auditions filmées de mineurs, de 2 ans et demi à 17 ans, quitte à s'asseoir par terre, à leur portée, parmi des jouets.

Sous une fenêtre, poupées et peluches semblent former un petit cercle bienveillant. Elles ont déjà entendu toutes sortes de récits depuis l'aménagement en 2013, au sein du groupement de gendarmerie du Val-d'Oise, de la salle d'entretien "Mélanie" (prénom de la première fillette dont l'audition avait été filmée dans les années 90).Il en existe aujourd'hui plusieurs centaines en France.

Derrière sa double porte, quatre "drôles de dames" - comme elles se surnomment - mènent chacune "50 à 60 entretiens par an".Avant tout soucieuses de mettre "chaque mineur en confiance pour l'aider à révéler ce qu'il a à révéler, au moment propice", explique Céline, adjudant-chef de 49 ans.

"Les petits, je les fais souvent asseoir sur ce mini fauteuil en osier.Je me mets par terre, à leur niveau, et plus rien n'existe autour de nous", témoigne-elle pour l'AFP."Je me souviens d'un garçon de 2 ans et demi, martyrisé par sa nounou.Il jouait dans un coin.Je m'étais mise à lui parler des +bobos+.Il avait fait ce geste (elle mime un coup dans le menton) et dit +tata, bobo+, avant de repartir jouer."  

"On forme une unité-passion", sourit Céline."Pour l'intégrer, il faut avoir déjà une expérience en brigade et la maturité pour encaisser" l'évocation de faits d'une extrême gravité, complète l'adjudant Joanne, 44 ans.

Ces militaires reçoivent, en uniforme, dans l'une des Maisons de protection des familles mises en place dans chaque groupement de gendarmerie départemental après le "Grenelle des violences conjugales" de 2019. 

Mais dans le bureau de la majore Anne, des figurines Star Wars font leur effet. Et dans la salle d'entretien, un énorme nounours est assis sous la caméra qui filmera l'audition. "On dit d'emblée à l'enfant que tout est enregistré avec notre micro qui ressemble à une soucoupe volante", rapporte Anne, 58 ans, commandant de brigade. 

- "A toi je peux le dire" -

Ne menant pas l'enquête, ces gendarmes sont disposées à tout entendre, sans préjugé. 

Une des règles d'or du protocole d'audition qu'elles appliquent, créé aux Etats-Unis en 1998, est "d'arriver à obtenir des éléments importants pour l'enquête sans questions suggestives, souligne Joanne."Ce ne sera jamais +Qu'est-ce qu'il t'a fait papa?+ mais plutôt +Comment ça se passe quand tu es avec maman?Et quand tu es avec avec papa?+". 

"On peut partir sur des violences et se retrouver avec un viol, ou l'inverse", dit-elle, se souvenant de cette "petite qui avait commencé à se déshabiller pour montrer qu'on lui avait fait mal au sexe". 

C'est elle aussi qui a auditionné la jeune soeur d'un adolescent de 14 ans, mort sous les coups de son beau-père: "Elle était incapable de verbaliser, dans le psycho-trauma comme on nous l'enseigne - figée, regard dans le vide - quand j'ai essayé d'évoquer les faits, qu'elle avait par ailleurs décrits dans son journal".L'intervieweuse s'est gardée d'insister "pour ne pas rajouter de traumatisme au traumatisme". 

Dans un dossier d'inceste, Joanne a vécu "comme un échec" le silence d'une adolescente de 13-14 ans, enceinte, qui avait révélé à l'hôpital que l'agresseur était son beau-père mais n'a pas voulu le réitérer en entretien filmé.

Chaque audition est suivie par un enquêteur, assis derrière une vitre sans tain. 

Elle sera ensuite minutieusement retranscrite pour mentionner paroles et gestes, tel un "hochement de tête vertical" semblant signifier un "oui".Ces retranscriptions, d'une précision cruciale, serviront jusqu'aux procès, les juges visionnant rarement les vidéos.

"Ce sont des enfants qui souffrent mais ne l'expriment pas forcément par les pleurs", constate l'adjudant Frédérique, 47 ans."Ils sont parfois impressionnants de maturité: une enfant de six ans m'a dit +A toi, je peux le dire mais maman ne peut pas l'entendre+".

Les auditions d'enfants témoins d'homicides conjugaux sont particulièrement difficiles.Elles ont lieu à l'Unité d'accueil pédiatrique enfants en danger de l'hôpital de Gonesse (Val-d'Oise) où ils sont directement pris en charge depuis l'adoption en décembre d'un nouveau protocole.

"Prendre très au sérieux" la parole de l'enfant est primordial, "ça l'aidera à se reconstruire", insiste Céline. 

Un message reçu récemment lui a fait "chaud au coeur": "Une jeune fille m'a retrouvée.Je l'avais entendue quand elle avait 12 ans.Elle avait subi le martyr dans une famille d'accueil.Elle a 20 ans, fait des études.Elle m'écrit +je vais bien+".

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