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Au Turkménistan, les jeunes femmes interdites de volant

Au Turkménistan, les jeunes femmes interdites de volant
Publié le , mis à jour le

Achkhabad (Turkménistan) (AFP) - Au volant, Mekhri ressent "un sentiment de liberté et de confiance en soi".Pourtant, elle n'a d'autre choix que d'être dans l'illégalité: au Turkménistan, un pays reclus d'Asie centrale, les autorités interdisent aux jeunes femmes de conduire.

"Je connais le code de la route.Je conduis calmement, ne double personne et sais me garer", assure-t-elle.Cette femme de 19 ans préfère taire son nom de famille, comme toutes les autres personnes interrogées par l'AFP au Turkménistan, où la presse indépendante et la liberté d'expression sont inexistantes.

L'impossibilité d'obtenir le permis de conduire pour les jeunes femmes turkmènes avant a minima leur trentaine est l'une des nombreuses interdictions arbitraires sans fondement législatif imposées par le duo père-fils Gourbangouly et Serdar Berdymoukhamedov, au pouvoir depuis 2006 et faisant l'objet d'un culte de la personnalité.

Parmi elles, l'interdiction des voitures noires, avec des propriétaires forcés de repeindre leur voiture en blanc...La couleur favorite selon les dires de Gourbangouly Berdymoukhamedov, officiellement "Héros-Arkadag" (protecteur) et "chef de la nation turkmène".

"Quand ma fille a voulu s'inscrire à l'auto-école, on nous a répondu qu'elle pouvait prendre des cours mais qu'elle ne pourrait probablement pas passer le permis", explique Gouzel, 57 ans, la mère de Mekhri.

Pour s'épargner une dépense inutile, c'est elle qui joue les moniteurs d'auto-école et l'emmène "en soirée quand il fait beau" conduire en dehors d'Achkhabad, la capitale de cette ex-république soviétique désertique bordant la mer Caspienne.

"Là où il y a peu de voitures, de policiers et de caméras, je laisse le volant à ma fille et je lui apprends", lâche Gouzel, qui conduit depuis ses 40 ans seulement.

- "Venues pour rien" -

L'histoire de Mekhri fait écho à celle d'autres jeunes femmes interrogées par l'AFP, dont Maïssa, 26 ans.

"J'ai voulu passer le permis à 18 ans.A l'auto-école, l'instructeur a immédiatement prévenu les nombreuses filles et nous a dit: +Vous êtes venues pour rien, vous ne pourrez pas l'avoir+", se souvient cette vendeuse de produits ménagers.

Toutefois, "jusqu'à l'examen, les auto-écoles acceptent les garçons et les filles, car il faut payer et c'est financièrement intéressant", précise-t-elle à l'AFP.

Les parents de Goulia, une étudiante de 19 ans, voulaient lui acheter pour son entrée à l'université une voiture pour être "plus indépendante, aller seule à l'université, faire les courses pour la famille" ou "emmener sa grand-mère à l'hôpital et à la pharmacie".

"Mais à cause des difficultés que rencontrent les jeunes filles comme moi pour obtenir le permis de conduire, ma mère a dit devoir reporter sa décision à des jours meilleurs", raconte-t-elle.

"Je viens d'avoir 19 ans et je ne peux pas obtenir le permis mais les garçons le peuvent et je ne comprends pas pourquoi", se demande-t-elle, d'autant plus déçue après avoir appris qu'"aux Etats-Unis, tout le monde peut passer le permis dès 16 ans".

Les tentatives de l'AFP d'obtenir un commentaire auprès de l'agence turkmène pour le transport automobile ont été infructueuses.

- Trois dollars - 

Au téléphone, un responsable d'auto-école a assuré à l'AFP : "les femmes ont le droit de s'inscrire au cours et de passer l'examen", avant de raccrocher abruptement.

Un autre moniteur d'Achkhabad reconnaît quant à lui l'interdiction informelle, expliquant qu'elle est "due à une forte augmentation des accidents impliquant des femmes au volant".

"Après une enquête des autorités, il s'est avéré qu'elles achetaient simplement des permis de conduire", avance-t-il, ce que l'AFP n'a pu vérifier.

Et pour les femmes en âge de passer le permis et d'enregistrer une voiture à leurs noms, les restrictions ont été renforcées.

Depuis 2023, elles doivent montrer un certificat de mariage, un livret de famille et une enquête détaillée de leur employeur.

Ce qui n'empêche pas les autorités de rejeter les critiques de l'ONU contre cette ex-république soviétique dont la population est en majorité musulmane et dont le régime est considéré comme l'un des plus répressifs du monde.Le gouvernement clamait fin février que "la patrie traitait avec grand respect les mères et les femmes".

En guise de remerciements avant la journée des droits des femmes le 8 mars, le président Serdar Berdymoukhamedov leur a octroyé la somme de trois dollars, soit de quoi acheter un gâteau ou six kilos de pommes de terre.

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