À 70 ans, le Grand Ensemble de Sarcelles fait de la résistance

Sarcelles (AFP) - Sous les yeux d'habitants accoudés aux fenêtres, un cocktail se tient à l'arrière d'une longiligne résidence sociale de 10 étages pour fêter la fin de sa rénovation énergétique.Amendé plutôt que démoli, le Grand Ensemble de Sarcelles fait preuve, à 70 ans, d'une résilience surprenante pour cette architecture tant décriée.
Construit sur près de 20 ans, de 1955 à 1973, le Grand Ensemble est, à 15 minutes de RER au nord de Paris, l'un des plus vastes de France. S'étendant sur 2 km2 à côté du village historique de Sarcelles (Val-d'Oise), il ne représente qu'un quart de la superficie de la commune mais concentre les deux tiers de sa population, avec 40.000 occupants.
Au fil de rues rectilignes, de fines barres résidentielles tout en longueur s'imbriquent les unes aux autres, aérées par de vertes pelouses de cœurs d'îlots. Se ponctuant de quelques tours, l'ensemble présente à la vue des avions atterrissant à l'aéroport voisin de Roissy l'aspect d'un Tetris géant.
"Le plan d'ensemble du Grand Ensemble de Sarcelles est assez remarquable et est d'ailleurs resté comme un rare bon exemple de ce qu'on a pu faire dans la construction des grands ensembles de banlieues après-guerre", estime auprès de l'AFP Patrick Haddad, maire socialiste de Sarcelles depuis 2018.
Là où la politique de rénovation urbaine des 20 dernières années en banlieue consiste largement à abattre des barres pour rebâtir des quartiers de taille plus humaine, la structure et l'architecture du Grand Ensemble de Sarcelles restent globalement préservées, avec l'accent davantage mis sur l'amélioration de l'existant.
"On démolit à bon escient.On ne touche pas aux bâtiments en pierre de taille, on ne démolit que les bâtiments de qualité médiocre, en enduit, les barres enclavantes.Et, pour faire de la diversification de logements, on démolit du logement social pour faire du logement autre", détaille Patrick Haddad.
Car avec 75% de logements sociaux, dans lesquels les classes moyennes des origines ont été remplacées par de nouveaux arrivants plus précaires, le Grand Ensemble souffre d'une paupérisation générale de sa population, qui s'étend par capillarité aux copropriétés privées du quartier, dégradées pour nombre d'entre elles.
- Limites de l'architecture -
Œuvre de l'architecte Jacques-Henri Labourdette, cette ville quadrillée a surgi de terre sur commande de la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts, dans un contexte de crise aiguë du logement dans la France des années 1950 en plein boom démographique.
Institutrice en maternelle de 51 ans, Maria Santos Baltazar est née et a vécu toute sa vie dans cette ville-monde que son père, un maçon portugais, a contribué à édifier en arrivant sur le chantier de Sarcelles en 1964 pour fuir la dictature de Salazar.
"Il faut garder cette mémoire de ce qu'ont été les grands ensembles, des personnes qui y ont vécu mais aussi des ouvriers qui sont venus pour les construire", confie-t-elle attablée devant un café sur la dalle des Flanades, le complexe commercial en souffrance qui sert de centre-ville.
L'homogénéité du bâti a fait que le Grand Ensemble a souffert dès sa naissance d'une mauvaise image, au point que la presse de l'époque en a forgé le néologisme de "sarcellite", désignant le spleen des habitants des banlieues-dortoirs.
Mais à 70 ans, un anniversaire que la commune célèbre de mai à juillet, le Grand Ensemble de Sarcelles s'avère avoir mieux résisté au temps que nombre de cités de banlieues, construites à l'écart des transports et refermées sur elles-mêmes.Ici, la fluidité de circulation permet de passer librement d'un quartier à l'autre.
"C'est toujours les mêmes bâtiments mais c'est jamais monotone.On peut avoir une tour de 14 étages à côté d'un bâtiment de quatre étages.La chance qu'on a eue c'est que c'était pas une ghettoïsation de cités.A chaque fois, on traverse une rue ou une allée et on est autre part", décrit Frédéric Bride, co-fondateur du mythique label de rap sarcellois Secteur Ä.
À Sarcelles, "on sent que partout, à l'échelle du logement, du bureau, des galeries, il y a une matière.Après, l'architecture ne peut pas tout faire", remarque l'architecte Patrick de Jean, travaillant à la rénovation énergétique de tours dans la grande avenue du 8 Mai 45. "Mais je crois que là elle est un peu au maximum de sa puissance."