IVG dans la Constitution: débats cruciaux lancés au Sénat, avant le Congrès ?

Paris (AFP) - Suspense à la chambre haute: le Sénat a commencé mercredi à débattre de l'inscription de l'IVG dans la Constitution avant un vote indécis lors duquel une partie de la droite va tenter de freiner la réforme à défaut de pouvoir la rejeter.
"Les Français nous regardent et attendent que nous soyons tous collectivement à la hauteur de l'attente populaire, à la hauteur des combats passés, à la hauteur de la vocation universelle de la France", a lancé le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti en ouverture de la séance, évoquant "une journée historique" pour faire de la France "le premier pays au monde à protéger dans sa Constitution la liberté des femmes à disposer de leur corps".
Deux camps s'opposent au Palais du Luxembourg.D'un côté, le gouvernement soutenu par la gauche en faveur de cette révision promise par le président de la République, Emmanuel Macron.De l'autre, une partie de la droite et des centristes encore sceptiques devant la formulation retenue par l'exécutif.
"La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse".Le texte soumis au vote des 348 sénateurs irrite toujours un peu dans les rangs de la majorité sénatoriale, une alliance entre Les Républicains (LR) et le groupe centriste.
"Cette inscription ne sera qu'une consécration constitutive et symbolique", a pointé la rapporteure Agnès Canayer (rattachée LR), circonspecte notamment devant le concept "pas limpide" de liberté garantie.Cette dernière s'apprête à soutenir un amendement pour revenir à la simple notion de "liberté"...Une rédaction approuvée par le Sénat en février 2023.
"Ce terme ne crée en aucune manière un droit opposable", a assuré le garde des Sceaux, tentant de rassurer les sénateurs au début d'un débat très houleux.
Ces débats sémantiques sont essentiels car un vote sans modification de la chambre haute est nécessaire avant de réunir le Congrès, ultime étape pour cette révision constitutionnelle soutenue par 86% des Français, selon un sondage Ifop de novembre 2022.
- Congrès lundi ?-
"C'est un moment historique, un moment où ce qui se déroule doit nous porter au-dessus des clivages politiques", a souligné la socialiste Laurence Rossignol, appelant ses collègues de la droite à soutenir le texte sans le modifier.
Cela reste incertain: les trois chefs de la majorité sénatoriale - le président du Sénat Gérard Larcher, le président du groupe LR Bruno Retailleau et celui du groupe centriste Hervé Marseille - sont en effet opposés à la réforme.
En cas de vote conforme du Sénat, le Congrès du Parlement "pourra être réuni la semaine prochaine" à Versailles pour adopter définitivement le projet, a affirmé un peu plus tôt la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot.
La date du lundi 4 mars, évoquée de longue date non sans froisser la droite sénatoriale, continue de "tenir la corde" selon plusieurs sources gouvernementales et parlementaires.
La mairie de Versailles a d'ailleurs déjà annoncé des restrictions de circulation à cette date en raison du "Congrès du Parlement".
- Pression familiale -
Les associations de défense des droits des femmes comme les collectifs d'opposition à l'IVG ont multiplié les initiatives ces derniers jours pour convaincre les sénateurs.Plusieurs rassemblements pro et anti-constitutionnalisation étaient prévus aux alentours du Sénat.
Dans les rangs de la droite, la pression sociale ou familiale a fait basculer certains votes: en privé, plusieurs sénateurs reconnaissent qu'ils ont changé d'avis et ne s'opposeront pas à la réforme, laissant entrevoir une nette majorité en faveur de l'inscription de l'IVG dans la Constitution.
La question est surtout de savoir si le texte sera modifié, ce qui obligerait l'Assemblée nationale à s'en saisir à nouveau et repousserait le calendrier de la réforme.
Outre l'amendement revenant sur le concept de "liberté garantie", une trentaine de sénateurs LR proposent d'inscrire dans la Constitution la clause de conscience des médecins, non tenus de pratiquer l'IVG s'ils ne le souhaitent pas.
"Le seul objectif: faire échouer le texte", s'est insurgée l'écologiste Mélanie Vogel, déterminée comme toute la gauche à obtenir une adoption sans modification.