A Jérusalem, Bardella veut faire sauter le verrou de l'antisémitisme

Paris (AFP) - Jordan Bardella doit se rendre la semaine prochaine en Israël à l'occasion d'une conférence pour la lutte contre l'antisémitisme, une forme de parachèvement de la dédiabolisation du Rassemblement national qui se heurte toujours à des résistances, tant le passif lepéniste demeure chargé.
"C'est l'antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous.À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste": dès 2013, Louis Aliot, aujourd'hui vice-président du RN, théorisait la nécessité de se débarrasser de l'accusation de haine envers les juifs charriée par le Front national de Jean-Marie Le Pen, lui qui avait renvoyé la Shoah à un "détail" de l'Histoire ou osé un jeu de mot avec le patronyme du ministre Michel Durafour..."crématoire!".
Sa fille, Marine Le Pen, a eu beau se présenter comme celle qui "protège" les Français de confession juive quand elle a repris la tête du parti - et exclu des membres pour antisémitisme, y compris son père qui avait promis à Patrick Bruel une prochaine "fournée" -, elle n'a jamais pu se rendre en Israël, pas plus qu'au dîner du Crif à Paris.
Ses adversaires rappellent en outre les liens - qu'elle jure révolus - avec Frédéric Chatillon, proche de la sphère négationniste et longtemps lié au RN.Et rappellent que, lors des législatives de juin, une candidate investie par le RN s'est illustrée en s'affichant coiffée d'une casquette nazie, une autre se défendant de tout antisémitisme pour avoir "comme ophtalmo un juif".Les deux ont été désavouées par les instances du parti.
- Succès électoraux -
L'invitation à cette conférence prévue mercredi et jeudi prochains, lancée par le ministre des affaires de la diaspora du gouvernement Netanyahu, apparaît ainsi comme un tournant.
L'eurodéputée Marion Maréchal a également été conviée, elle qui s'était posée comme l'héritière politique de son grand-père - "on n'arrête pas une idée vraie (ni) un exemple juste", avait-elle lancé lors d'une cérémonie d'hommage à Jean-Marie Le Pen en janvier à Paris.
Déplorant "ce renversement de valeur", Mathieu Lefevre, député macroniste et président du groupe d'amitié France-Israël à l'Assemblée nationale, a toutefois pointé jeudi sur Radio J la responsabilité d'"une partie du gouvernement israélien", la plus extrémiste, d'autres ministres étant "gênés" par ces invitations à l'extrême droite.
Depuis le 7-Octobre, le Rassemblement national n'a pas ménagé ses efforts pour effacer son passé, jusqu'à trouver sa place dans des manifestations contre l'antisémitisme.
Avec électoralement un certain succès auprès des quelque 500.000 juifs français.Dans le XIXe arrondissement de Paris, les bureaux de vote correspondant aux fortes densités communautaires autour des Buttes-Chaumont ont compté lors des dernières européennes et législatives une proportion de suffrages RN équivalente à celle de la moyenne de l'arrondissement, alors que Mme Le Pen y avait accusé une sous-performance lors de la présidentielle de 2022.
Idem à Sarcelles, dans les bureaux de la "petite Jérusalem": si les scores du RN y sont toujours largement inférieurs à ceux observés au niveau national, ils se confondent avec, voire dépassent, l'étiage lepéniste à l'échelle de l'ensemble de cette commune du Val-d'Oise.
Le thème de l'antisémitisme est très présent dans le débat politique, mais c'est aujourd'hui La France insoumise qui concentre toutes les accusations.
- Prise de distance d'Herzog -
L'opprobre moral envers le RN n'a néanmoins pas totalement disparu.Après l'annonce de la venue de Jordan Bardella et Marion Maréchal à Jérusalem, Bernard-Henri Lévy a annulé sa participation à la conférence.
De même qu'un professeur de l'université de Londres et expert de l'antisémitisme, David Hirsch, qui a appelé dans une lettre ouverte Israël à ne "pas offrir à la droite populiste, qui a l'antisémitisme fasciste dans son héritage et parmi ses soutiens, un sceau officiel d'approbation juive".
Outre Jordan Bardella et Marion Maréchal, des représentants des partis d'extrême droite européens, notamment des Hongrois du Fidesz (le mouvement de Viktor Orban), des Espagnols de Vox ou des Démocrates de Suède ont également été invités, ces formations s'étant déjà fait épingler pour compter dans leurs rangs des membres néo-nazis ou révisionnistes.
Mercredi, le président israélien Isaac Herzog a d'ailleurs pris ses distances avec l'événement, même si le RN a assuré à l'AFP que la participation de M. Bardella à une réception à la présidence était maintenue.
Reste le contexte régional, avec la reprise des bombardements israéliens sur Gaza, qui interroge au RN. "Je ne suis pas là pour condamner ou ne pas condamner", a balayé Jordan Bardella mercredi sur RMC.
"Mais quand bien même Israël est un allié, il ne faut pas apparaître trop proche de Netanyahu", met toutefois en garde un député lepéniste: "on doit faire attention à ne pas être démesurément pro-israélien pour racheter les propos antisémites de Jean-Marie Le Pen".