Comparution de Duterte devant la CPI : larmes et mépris des familles des victimes

Manille (AFP) - Alors que l'ex-président philippin Rodrigo Duterte comparaissait vendredi devant la Cour pénale internationale (CPI), un murmure de dédain s'est fait entendre dans une petite chambre d'une église de Manille, la capitale des Philippines.
Huit femmes regardaient la retransmission vidéo de la procédure, dont certaines tenaient dans leurs mains les photos d'un mari, d'un fils ou d'un proche tué lors de la répression brutale du trafic de la drogue qui a été la politique emblématique de la présidence de M. Duterte.
L'ancien dirigeant de 79 ans, premier ex-chef d'Etat asiatique à être inculpé par la CPI, a assisté à cette première et brève audience par liaison vidéo, qui a servi à l'informer des crimes dont il est soupçonné et des droits dont il dispose en tant qu'accusé.
Président de 2016 à 2022, il est suspecté de crimes contre l'humanité pour des meurtres commis pendant sa campagne contre les usagers et trafiquants de drogue, qui a fait des dizaines de milliers de morts aux Philippines, selon des ONG de défense des droits humains.
Les veuves et les mères qui se sont rassemblées à des milliers de kilomètres de La Haye pour suivre la comparution, avaient été informées à l'avance que leur ancien président serait tenu de prononcer uniquement son nom.
Mais entendre le nom de Duterte a suffi à "nous inspirer de la peur et du mépris", a lancé entre deux sanglots Normita Lopez, 60 ans.
La police philippine a tiré à cinq reprises sur son fils parce qu'il a "résisté" à l'arrestation, une expression utilisée pour justifier les meurtres de personnes soupçonnées de trafic de stupéfiants.
La décision de faire apparaître M. Duterte par liaison vidéo depuis son centre de détention, après son long vol depuis Manille, a suscité les moqueries d'une partie de la petite assistance.
"Il n'a pas l'air fatigué", a crié une femme.
- Contenir sa rage -
Des huées et des rires ont accompagné les propos de l'avocat Salvador Medialdea, qui a affirmé que son client avait été "enlevé de son pays" pour être transféré à La Haye, au Pays-Bas.
Sheerah Escudero, dont le frère Ephraim a été enlevé puis retrouvé mort pendant la répression, a souligné que son frère n'a pas eu la chance de pouvoir se défendre devant la justice.
"Nous, mon frère, avons-nous jamais pu faire l'expérience de ce droit de l'homme?", a-t-elle lancé.
Jane Lee, dont le mari a été tué lors de la guerre contre la drogue, a confié avoir eu du mal à contenir sa rage à la vue de l'ancien président Duterte.
"Quand je l'ai vu, j'étais tellement en colère que j'ai eu du mal à me contrôler", a dit cette femme de 42 ans, en se rappelant l'avoir vu rire à la mention des victimes lors d'une audition au Sénat de son pays.
Alors que la comparution devant la CPI touchait à sa fin la surprise a été grande lorsque le juge a annoncé la tenue de la prochaine audience dans six mois.
"Nous espérons qu'il ne reviendra pas aux Philippines pour pouvoir enfin goûter à la paix", a lancé Mme Lee.
En revanche, les partisans de M. Duterte estiment qu'il a été kidnappé et envoyé à La Haye, victime des querelles intestines au sommet de l'Etat et de la brouille entre la famille Duterte et celle du président Ferdinand Marcos, jusque-là alliées pour diriger les Philippines.