Contrôle d'identité "au faciès": la France condamnée pour discrimination

Strasbourg (AFP) - La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France pour un contrôle d'identité discriminatoire mais estime qu'il n'y a pas de "défaillance structurelle" du cadre juridique et administratif français.
Le requérant qui a obtenu gain de cause, Karim Touil, avait subi trois contrôles d'identité en l'espace de dix jours en 2011.Dans son arrêt rendu jeudi, la Cour relève qu'il n'a pas été apporté de "justification objective et raisonnable" au choix de viser M. Touil, pour ces trois contrôles.
Tout en se disant "bien consciente des difficultés pour les agents de police de décider, très rapidement et sans nécessairement disposer d'instructions internes claires, s'ils sont confrontés à une menace pour l'ordre ou la sécurité publics", la cour conclut qu'il existe dans le cas de M. Touil, "une présomption de traitement discriminatoire à son égard et que le gouvernement n'est pas parvenu à la réfuter".
La France est par conséquent condamnée pour violation de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, relative à l'interdiction de la discrimination, combiné avec l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale).
L'Etat doit verser 3.000 euros à M. Touil pour dommage moral.
En revanche, la cour a jugé que les contrôles subis par cinq autres requérants n'ont pas été effectués pour des motifs discriminatoires.Elle considère que ceux-ci "ont failli à apporter un faisceau d'indices suffisamment graves, précis et concordants démontrant une différence de traitement".
Par ailleurs, la CEDH estime que "le cadre juridique et administratif des contrôles d'identité en France ne révèle pas l'existence de défaillance structurelle".
- Long combat judiciaire -
Pour l'avocat des requérants, Slim Ben Achour, "c'est une victoire, parce qu'il y a une condamnation"."Au bout du compte, ça veut dire que l'Etat français doit prendre ses responsabilités et modifier la manière de contrôler l'identité".
C'était une décision longuement attendue pour ces six Français, d'origine africaine ou nord-africaine et résidant à Roubaix, Marseille, Vaulx-en-Velin, Saint-Ouen et Besançon.Tous dénonçaient des "contrôles au faciès", subis en 2011 et 2012.
Après avoir perdu devant la justice française, ils ont saisi en 2017 la CEDH, qui veille au respect de la Convention européenne des droits de l'homme dans les 46 Etats qui l'ont ratifiée.
Ces six requérants font partie d'un groupe de 13 hommes qui s'étaient lancés dans un combat judiciaire, dénonçant des contrôles injustifiés, parfois associés à des palpations, des insultes ou du tutoiement.
Après avoir perdu en première instance en 2013, les plaignants avaient fait appel et en 2015, la cour d'appel de Paris avait donné raison à cinq d'entre eux.
En 2016, la Cour de cassation avait définitivement condamné l'Etat dans trois dossiers, une première historique.
Six hommes qui n'avaient pas obtenu gain de cause avaient décidé de porter l'affaire devant la CEDH.
- Hausse du nombre de contrôles -
"L'histoire va continuer", a déclaré à l'AFP leur avocat Slim Ben Achour, rappelant qu'en avril 2024, cinq associations et ONG françaises et internationales ont saisi l'ONU pour faire reconnaître "la nature systémique" de ces discriminations.
"Et pendant que l'histoire continue, naturellement, la connaissance du phénomène devient de plus en plus aiguë", a ajouté Me Ben Achour.
La proportion de personnes ayant fait l'objet d'un contrôle d'identité a fortement augmenté entre 2016 et 2024, selon une enquête du Défenseur des droits (DDD) dévoilée mardi, pour laquelle 5.030 personnes ont été interrogées.
En 2024, 26% des personnes interrogées ont déclaré avoir été contrôlées par la police ou la gendarmerie au moins une fois au cours des cinq dernières années, contre 16% en 2016.
Les hommes jeunes et perçus comme arabes, noirs ou maghrébins ont quatre fois plus de risques de faire l'objet d'au moins un contrôle d'identité que le reste de la population et 12 fois plus de risques d'avoir un contrôle poussé (fouille, palpation, ordre de partir), révèle cette enquête.
Au regard de ces résultats, la Défenseure des droits Claire Hédon a émis plusieurs recommandations, dont la traçabilité des contrôles d'identité afin de garantir aux personnes contrôlées la possibilité d'exercer un recours, notamment en cas d'allégation de discrimination.