Apollonia, une escroquerie immobilière à un milliard d'euros jugée à Marseille

Marseille (AFP) - Escroquerie immobilière de près d'un milliard d'euros, le dossier Apollonia est jugé depuis lundi à Marseille pour plus de deux mois, avec des centaines de victimes flouées qui espéraient se constituer un patrimoine à moindre frais.
Avec 15 prévenus dont un avocat et trois notaires, quelque 760 parties civiles, 110 avocats et un dossier de 110 tomes, la salle des procès hors-norme du tribunal correctionnel, installée dans la cour de l'ancienne caserne militaire du Muy, aura rarement été aussi remplie.
Sur les bancs des prévenus, la famille Badache, fondatrice de la société de gestion de patrimoine Apollonia, basée à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône): Jean, ancien commerçant, sa femme Viviane, esthéticienne de profession, et leur fils, Benjamin, un temps aux commandes de l'entreprise.
Dans la salle, beaucoup d'anciens médecins aujourd'hui retraités, avec "des dégâts humains irréparables, des suicides, des décès, des dépressions", rapporte à la presse Jean Imbert, vice-président de l'association de victimes créée dans cette affaire qui arrive "enfin" devant la justice, 17 ans après les premières plaintes.
Il y a ainsi plusieurs cas de maisons familiales vendues, de faillites personnelles, de personnes se retrouvant avec le minimum légal, d'enfants contraints de renoncer aux héritages, rapporte-t-il.
Pascale Hoffmann, veuve Cucuz, tient dans ses bras une photo de son mari, aujourd'hui décédé, et de son plus jeune fils, qu'il a à peine connu.Elle est gynécologue-obstétricienne à l'hôpital à Grenoble, lui était médecin généraliste.Un collègue les met en relation avec Apollonia.
Le commercial leur propose "un rêve": pouvoir construire un patrimoine immobilier à rentabilité exceptionnelle sans apport, ce qui devait leur permettre de partir faire de l'humanitaire tout en ayant mis à l'abri leurs quatre enfants.
- Simples "manoeuvres commerciales agressives" ? -
Les professions médicales étaient particulièrement ciblées car elles ont des moyens, peu de temps libre et un métier basé sur la confiance et une certaine idée du service public, énumère cette femme au regard doux, vêtue de noir, auprès de quelques journalistes.
Apollonia leur proposait d'acquérir des lots de programmes immobiliers éligibles au dispositif de loueurs meublés professionnels (LMP), fiscalement avantageux.
Le mécanisme semblait d'autant plus attractif que "les effets combinés de ces avantages fiscaux et des revenus tirés de la mise en location des biens étaient censés" garantir aux clients "l'autofinancement des acquisitions", résume le juge d'instruction dans ce dossier.
Mais le ticket d'entrée pour atteindre ce "Graal" était élevé, l'investisseur devant justifier de plus de 23.000 euros par an de son activité de loueur pour être un LMP. Un impératif qui a conduit à la multiplication des acquisitions, pour des montants compris entre 800.000 et quatre millions d'euros par les investisseurs.
Des acquisitions financées la plupart du temps par emprunts.Pour Pascale et son mari, ce sera trois millions d'endettement: "On nous a vendu 13 lots, dont certains ne sont pas construits".
Apollonia, qui gérait tout pour ses clients, contractaient pour eux des emprunts auprès de plusieurs banques, allant jusqu'à falsifier leurs relevés bancaires pour maquiller leur endettement grandissant.Et ceux-ci se retrouvent peu-à peu face à des dettes insurmontables.
Un moment mises en cause, plusieurs banques partenaires de ces montages sont désormais parties civiles.
Le mari de Pascale s'en voudra énormément et n'arrivant plus à dormir, il s'automédique, jusqu'à une dose fatale.Aujourd'hui "rien" ne rendra sa "vie d'avant" à son épouse, elle veut juste "pouvoir vivre plus librement".
Car très concrètement, à cause de cette histoire, elle n'a jamais pu finir la construction de leur maison et a été plusieurs fois inscrite au fichier d'interdit bancaire.Heureusement, sa banque a accepté de lui laisser sa carte bleue, ce qu'elle aurait pu refuser.
Au final, de 1997 à 2009, la société aixoise aura procédé à la vente de 5.305 lots pour près de 950 millions d'euros.La commission de 15% (sur le prix de vente) perçue a permis elle aux époux Badache de mener grand train.
Mais, pour un de leurs avocats, Me Frédéric Monneret, "il convient de distinguer ce qu'on qualifie de manœuvres agressives, qui seraient éventuellement des mensonges dans le cadre d'un argumentaire commercial, avec des manœuvres frauduleuses", qu'ils "ont toujours contestées".
Le couple Badache comme tous les coprévenus encourent jusqu'à 10 ans de prison et un million d'euros d'amende.