Emeutes en Nouvelle-Calédonie: 3 morts, un gendarme gravement blessé et l'état d'urgence annoncé
Nouméa (AFP) - Emmanuel Macron a demandé mercredi l'instauration de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie après deux nuits d'émeutes qui ont fait trois morts et des centaines blessés dans l'archipel, secoué par la fronde des indépendantistes contre une réforme électorale votée par le Parlement.
A l'issue d'un conseil de défense et de sécurité nationale réuni dans la matinée, le chef de l'Etat a annoncé que le décret visant à instaurer l'état d'urgence dans l'archipel français du Pacifique Sud serait inscrit à l'ordre du jour du conseil des ministres prévu mercredi après-midi.
Mise en œuvre après les attentats du 13 novembre 2015 ou pendant l'épidémie de Covid-19, cette mesure, qui permet notamment d'interdire déplacements ou manifestations, était réclamée par de nombreuses voix à droite et à l'extrême droite.
Malgré les appels au calme des principaux partis politiques du territoire et des autorités, la vague de violences entamée lundi, la plus grave depuis les années 1980, n'a donné aucun signe de reflux.
Selon le dernier bilan provisoire communiqué par l'Elysée, elles ont fait trois morts et un gendarme a par ailleurs été "très grièvement blessé".
Selon le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, la première victime a été tuée par balles, victime d'un tir "de quelqu'un qui a certainement voulu se défendre".
"Toutes les violences sont intolérables et feront l'objet d'une réponse implacable pour assurer le retour de l'ordre républicain", a assuré Emmanuel Macron à l'issue du conseil de défense, avant de rappeler une nouvelle fois rappelé "la nécessité d'une reprise du dialogue politique".
Le Premier ministre Gabriel Attal a précisé peu après devant les députés qu'il proposerait une date "dans les prochaines heures" pour recevoir à Matignon indépendantistes et non-indépendantistes.
- "Situation insurrectionnelle" -
Les cinq principaux partis de ces deux camps ont appelé plus tôt mercredi "l'ensemble de la population (...) au calme et à la raison".
Incendies, pillages, affrontements armés entre émeutiers et population ou avec les forces de l'ordre, tout l'archipel est le théâtre depuis lundi d'émeutes particulièrement violentes, malgré l'instauration d'un couvre-feu à Nouméa et dans son agglomération.
Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a fait état de "centaines" de blessés au total, dont une "centaine" de policiers et gendarmes.
"On est dans une situation que je qualifierais d'insurrectionnelle", s'est inquiété sur l'île M. Le Franc."L'heure doit être à l'apaisement (...) l'appel au calme est impératif".
Le haut-commissaire a fait état d'"échanges de tirs de chevrotine entre les émeutiers et les groupes de défense civile à Nouméa et Paita" et indiqué avoir fait intervenir les policiers d'élite du RAID contre des émeutiers qui se dirigeaient vers un dépôt de gaz.
Le ministre de la Fonction publique du gouvernement local, Vaimu'a Muliava, a lui rapporté que deux personnes avaient été blessées par balles à Ducos, dans le nord-ouest de Nouméa, "par un garagiste qui protégeait son entreprise".
"Je vous laisse imaginer ce qui va se passer si des milices se mettaient à tirer sur des gens armés", a insisté Louis Le Franc, "on est dans une spirale mortelle".
Les forces de l'ordre ont mené un total de 140 interpellations dans la seule agglomération de Nouméa, selon le dernier bilan officiel.
- Ultimatum -
En métropole, les députés ont adopté dans la nuit de mardi à mercredi par 351 voix contre 153 le texte qui élargit le corps électoral. La réforme constitutionnelle devra encore réunir les trois cinquièmes des voix des parlementaires réunis en Congrès à Versailles.
Dans un courrier adressé mercredi aux représentants calédoniens, Emmanuel Macron a précisé que ce Congrès se réunirait "avant la fin juin", à moins qu'indépendantistes et loyalistes ne se mettent d'accord d'ici là sur un texte plus global.
Le texte voté par les sénateurs et maintenant les députés vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales dans l'archipel.Les partisans de l'indépendance jugent que ce dégel risque de réduire leur poids électoral et "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak".
Mercredi, le président indépendantiste du gouvernement du territoire, Louis Mapou, a "pris acte" de la réforme votée à Paris mais déploré une "démarche qui impacte lourdement notre capacité à mener les affaires de la Nouvelle-Calédonie".
Pour faire revenir le calme, certaines voix de droite et d'extrême droite ont réclamé l'intervention de l'armée.
A l'inverse, la gauche a réclamé la suspension de la réforme constitutionnelle."Tout doit être fait pour retrouvé le calme et le dialogue", a plaidé le communiste Fabien Roussel.
Mercredi matin, faute d'approvisionnement des commerces, les pénuries alimentaires ont provoqué de très longues files d'attente devant les magasins, a constaté un correspondant de l'AFP.
- "J'ai peur" -
A Tuband, un quartier de Nouméa, des habitants ont patrouillé dans la nuit de mardi à mercredi armés de bâtons ou de battes de base-ball, encagoulés ou casqués.
"Les flics sont débordés alors on essaye de se protéger et des que ça chauffe, nous prévenons les flics pour qu'ils viennent nous aider.On essaye de faire en sorte que chaque quartier ait sa milice", a affirmé un habitant, Sébastien, 42 ans.
"Nous avons été très aidés par la milice de Sainte-Marie", a témoigné auprès de l'AFP une habitante de de ce quartier, Aurélia."J"ai passé la nuit avec hier et ça allait encore mais ce soir, j'ai peur", a ajouté cette institutrice de 42 ans."J'ai préparé un sac pour être prête à partir".
Pour contenir les émeutes, d'importants effectifs de policiers et de gendarmes, dont des éléments de leurs deux groupes d'élite, le GIGN et le RAID, ont été mobilisés.
D'autres renforts étaient en cours d'acheminement dans l'archipel, selon Gérald Darmanin.Selon le ministère, 1.800 policiers et gendarmes y étaient déployés mercredi et 500 de plus y arriveront dans les heures qui viennent.
L'aéroport de Nouméa est fermé depuis lundi jusqu'à nouvel ordre.Le haut-commissaire a indiqué mercredi qu'il avait demandé le renfort de l'armée pour le protéger.